La démocratie Haïtienne : une démocratie sans le peuple
« La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. »
(Albert Camus)
Cela fait plus d’une trentaine d’années depuis que le peuple haïtien s’est détourné de la voie dictatoriale pour cheminer vers celle de la démocratie, système politique accordant priorité à la souveraineté populaire, à l’autodétermination du peuple de son histoire ou de sa destinée. C’est une forme organisationnelle du pouvoir qui requiert la participation directe des citoyens et des citoyennes aux affaires publiques (démocratie directe). En revanche, les modernes, en réponse, retiendront une forme de démocratie dite représentative, laquelle forme la communauté politique haïtienne a adoptée en élaborant la Constitution de 1987 après 29 ans de dictature.
En effet, à travers la démocratie, Haïti voyait poindre à son horizon un véritable espoir pour ses aspirations au bien-être, à la liberté et au respect de sa dignité. Mais l’on peut constater depuis plusieurs décennies, avec regret, un détournement de la démocratie par des secteurs réactionnaires nationaux de connivence avec certains acteurs internationaux.
Le peuple Haïtien : entre sa représentation et son administration
Le peuple Haïtien est sur-représenté (ASEC, CASEC, Délégué de ville, Magistrat, Député…), pourtant il est sous-administré. Force est de constater, qu’il y a un fossé énorme qui se creuse entre le peuple et ses élus. Au lieu de représenter la population et ses intérêts vitaux, ces grands commis de l’Etat ne font que se représenter eux-mêmes et défendre leurs intérêts personnels. Pourtant, la population n’a pas accès à une éducation de qualité, croupisse dans la misère avec un accès extrêmement limité aux services sociaux de base. La masse populaire aspire à de meilleures conditions de vie, mais ce sont plutôt nos élus qui ne cessent de mener une vie luxueuse en utilisant les fonds publics. Comment parler de liberté, d’égalité, de justice ou de souveraineté quand la majorité de la population vit dans l’indigence quasi-totale et dans l’indifférence ?
Pour parodier Albert dans ses pensées démocratiques, il disait et nous citons :
«La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.» Cette masse n’est pas dupe, elle ne connaît pas les concepts et les théories relatifs à ces questions, mais elle les vit quotidiennement dans leur entraille, elle les ressent et désire les voir changer.
Le cas d’Haïti n’est pas une malédiction
La situation chaotique, la crise politique, économique et sociale qu’Haïti a connues, d’autres pays l’ont vécue aussi (La fin de l’Empire romain, la fin de la monarchie en France). Haïti n’est pas le seul pays à constater la phase de décomposition de son système, le non-respect des autorités du système, la déliquescence des institutions, l’anarchie et le désordre, l’instrumentalisation de la justice, de la police et d’une certaine presse. Haïti n’est pas le seul pays à avoir vu son indice de corruption augmenter et, en conséquence, sa démocratie se fragiliser de jour en jour. Le rapport de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption pour l’année 2018 montre clairement l’ampleur du phénomène : sur 180 pays étudiés, les pays les moins corrompus sont tous des démocraties de longue date. De ce fait, plus d’un considère Haïti comme un pays malade, un état en faillite, une nation en dérive.
Que faut-il faire donc pour sauver Haïti ? Faut-il changer de système de gouvernement ?
Gineaud Louis, dans son ouvrage, Démocratie Universelle en Haïti, Élections ou Sélections ? explore les faiblesses de la démocratie haïtienne et propose des solutions.
-Selon l’auteur, les grandes puissances, qui résument la démocratie universelle à l’organisation d’élections au suffrage universel, ont négligé deux facteurs qui sapent l’intégrité du vote des électeurs : la pauvreté et l’analphabétisme. « En toute évidence, la situation infrahumaine dans laquelle se trouve la majorité de la population haïtienne ne favorise pas la construction d’une société qui sanctionne ses candidats de manière judicieuse, opportune et éclairée » (page 53). La précarité économique incite les acteurs, à tous les échelons de la machine électorale, à s’engager dans des actes frauduleux au bénéfice des candidats opulents. Alors que l’analphabétisme rend l’électeur crédule et une proie à la manipulation : « Plus on est analphabète, moins on est capable de réfléchir sur les enjeux des élections ». (page 67).
-L’auteur suggère « un système politique proportionnel de nomination de parlementaires chevronnés, aptes, compétents, habiles, honnêtes, doués et expérimentés, issus de partis politiques pour corriger l’absurdité du vote populaire » (page 69).
-Il propose de remplacer la démocratie universelle couramment en vigueur en Haïti par une autre forme de gouvernement : « Le modèle de la démocratie universelle tel qu’appliqué en Haïti n’est pas bénéfique pour le développement durable du pays. Il crée l’instabilité, la confusion et la division au sein de la population. » Deux des caractéristiques de cette nouvelle forme de gouvernement sont les suivantes :
a) Un pouvoir parlement proportionnel
Tous les parlementaires ne seront pas élus au suffrage direct ; 50% d’entre eux seront nominés par les élus des collectivités territoriales. Avec ce nouveau système, les opérations électorales coûteront moins cher et les élus seront plus compétents, car issus des cadres des partis politiques (page 167).
b) Un pouvoir exécutif présidentiel
La cohabitation du président élu au suffrage direct avec un Premier ministre choisi par le président, et ratifié (et contrôlé) par le Parlement « fait du Parlement le véritable centre de pouvoir ». Ce régime dualiste « ouvre la voie à des pratiques de collusion entre les membres du gouvernement et les parlementaires et aussi à la corruption endémique au plus haut niveau de l’État » (page 171). Par conséquent, « il faut abolir la fonction de Premier ministre et appliquer un régime politique ayant pour exécutif un président et un vice-président ».
Le peuple haïtien veut d’une nouvelle Haïti, d’une Haïti moderne, démocratique et prospère . Pour l’obtenir, il faut se battre pour pouvoir instaurer cette véritable démocratie dans le pays. De plus, les forces vives de la nation doivent participer activement à la vie publique en vue d’une formation rationnelle de la volonté politique des citoyens et des citoyennes ; d’une justice sociale compatible avec les aspirations du peuple haïtien et enfin d’une réconciliation entre l’Haïtien et lui-même, d’une réconciliation entre l’Haïtien et l’Haïtien et d’une réconciliation entre l’Etat et la nation, capable de nous permettre de prendre la voie démocratique.
Don Waty BATHELMY, Économiste, Blogueur.
donwatybathelmy257.blogspot.com
WhatsApp : +509 3155 8862
Lire aussi : La démocratie haïtienne : un produit importé et expiré Publié le 2018-05-17 | Le Nouvelliste
Haïti-Corruption : De la banalisation des normes à l’habitude et de l’habitude au vice Publié le 2018-05-17 | Haiti Economie
Références :
Gineaud Louis, Démocratie Universelle en Haïti, Élections ou Sélections ? Jebca Éditions, Boston, 2017, 184 pages.